Hopiho : Ton préféré

Au mois d’octobre dernier, Hopiho a lancé un nouvel album. Voici une entrevue avec ce rappeur de la région d’Ottawa-Gatineau.

 

Tu es né au Cameroun? Qu’est-ce qu’il y a de particulier dans cette région du monde?

Je suis un Canadien, d’origine camerounaise, mais je me considère comme un citoyen du monde.  Je suis né au Cameroun, j’ai grandi en France et au Kenya, et je vis au Canada. Tous ces voyages ont forgé l’homme que je suis devenu.

Le Cameroun est mon pays natal. J’ai vécu là-bas pendant une dizaine d’années et je suis évidemment très attaché à ce pays. À l’instar du Canada, le Cameroun est un pays où les deux langues officielles sont le français et l’anglais. Deux provinces sur dix sont anglophones (il s’agit des provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest), et les anglophones représentent environ 20 % de la population camerounaise.

Une crise sociopolitique a débuté en octobre 2016 lorsque les avocats et les enseignants des provinces anglophones ont déclenché des grèves, car ils exigeaient que le statut de l’anglais, en tant que langue officielle, soit respecté. Les choses ont très vite dégénéré, et des revendications, qui étaient somme toute légitimes, se sont muées en conflit armé.

Aujourd’hui, le Cameroun est divisé. Depuis près de quatre ans, nous n’avons toujours pas réussi à trouver des solutions aux griefs soulevés par la population anglophone minoritaire du pays. Face à cette situation, je ne pouvais pas rester indifférent. J’ai donc décidé d’écrire la chanson L.E.F. 2019 qui se trouve dans mon album Ton préféré. C’est un brûlot où je critique le régime du président Paul Biya, qui est au pouvoir depuis 37 ans.

 

Hopiho est un surnom? Pourquoi ce nom?

Hopiho est un surnom. Quand j’ai commencé à rapper, mes premiers textes étaient en anglais. A cette époque-là, je n’écoutais que du rap américain. Mon flow nonchalant était similaire à celui de Ma$e, mon idole à l’époque. N’ayant pas beaucoup d’imagination, j’ai décidé d’utiliser mes initiales (O.P.O) en guise de pseudonyme.

Quand j’ai commencé à écrire des textes en français, je me suis rendu compte que les francophones m’appelaient «Opéo». J’ai donc décidé d’écrire mon surnom de manière phonétique afin de m’assurer que tout le monde le prononce de la même façon.

 

Pourquoi choisir la musique rap?

Ma passion pour l’écriture est indéfectible: lorsque je ne suis pas en train d’écrire des chansons, je rédige des articles sur mon blog personnel. Le rap a véritablement changé ma vie, car il m’a permis de concilier mes deux amours: l’écriture et la musique.

 

Comment trouves-tu la place du rap aujourd’hui comparativement à même il y a une dizaine d’années?

Le rap est un genre musical qui est très populaire auprès des jeunes. Il y a de nombreux rappeurs canadiens francophones qui accumulent des millions de vues sur YouTube. Cependant, malgré ce succès incontestable, ils sont constamment boycottés par les médias mainstream.

Malheureusement, il n’y a pas que les médias qui boycottent le hip hop : les  propriétaires de salles de spectacle sont parfois très réticents quand un rappeur leur dit qu’il veut organiser un concert dans leur local. Le rap jouit d’une mauvaise réputation, donc ils craignent qu’il y ait de la violence dans leur établissement.

Comme vous le constatez, il y a beaucoup d’embûches sur notre route, mais le tableau n’est pas si noir. Par exemple, je suis content de voir que Radio-Canada ait décidé de créer une catégorie entièrement dédiée au rap dans son programme Révélations. C’est une bonne nouvelle : en donnant plus de place au rap sur ses plateformes, Radio-Canada va propulser les carrières des rappeurs prometteurs.

 

Quelles sont tes plus grandes influences?

Lorsque j’étais plus jeune, j’écoutais beaucoup de musique africaine. Des artistes camerounais comme Petit Pays, Prince Ndedi Eyango et Ben Decca étaient mes idoles à l’époque. J’étais aussi un grand fan de Michael Jackson et de Lionel Richie. Je suis tombé amoureux du rap au milieu des années 90, après avoir écouté l’album The Chronic de Dr. Dre. En mélangeant le funk avec le rap, Dr. Dre avait créé un genre musical (le G-funk) qui avait réussi à capter mon attention.

The Chronic est un album qui m’a énormément marqué, et c’est lui qui m’a donné envie d’en apprendre davantage sur la culture hip hop. Plus tard, j’ai découvert des artistes comme 2pac, The Notorious B.I.G. et Ma$e qui non seulement m’ont ébloui par leur talent, mais m’ont également donné envie de rapper.

 

Le rap américain et le rap francophone est-il différent?

En général, les rappeurs américains se focalisent plus sur leur flow, tandis que les rappeurs francophones mettent plus l’emphase sur leurs paroles. Cela dit, il y a des rappeurs francophones qui ont des flows incroyables, et il y a des rappeurs américains qui possèdent de sacrées belles plumes.

 

Tu viens de lancer un nouvel album. Peux-tu m’en parler?

Le 28 octobre dernier, j’ai sorti mon album qui s’intitule Ton Préféré. Dans cet opus, j’ai opté pour une ambiance festive et entrainante. Les auditeurs, qui aiment danser, apprécieront les compositions très rythmées de cet album.

Ton Préféré est un album assez éclectique où je mélange habilement le rap avec la musique africaine. Étant donné que je suis d’origine africaine et que je vis en Amérique du Nord, mon but était de créer une musique hybride et fédératrice susceptible de transcender les barrières culturelles, linguistiques et géographiques. Je pense avoir atteint mon objectif, car de nombreux auditeurs anglophones m’ont dit qu’ils ont apprécié l’album bien qu’ils ne comprennent pas les paroles.

Un des morceaux phares de l’album est Can’t go on, une chanson où je parle des violences conjugales. J’ai décidé d’aborder un sujet si délicat, car de nombreuses femmes sont battues par leur conjoint et souffrent en silence. La violence conjugale est un fléau qui mine nos sociétés, et elle a des conséquences très graves. Dans Can’t go on, j’encourage les victimes à dénoncer leurs bourreaux.

Aujourd’hui, tu habites la région de l’Outaouais. Que penses-tu de la vie artistique dans la région?

L’Outaouais est une belle région, mais ce n’est pas le meilleur endroit pour l’épanouissement artistique. J’ai énormément d’amis et de connaissances dans la région, mais remplir une salle de concerts ici, c’est compliqué. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est extrêmement difficile de faire venir les gens au spectacle. À Montréal, c’est beaucoup plus facile de le faire.

C’est la raison pour laquelle nous assistons à une sorte d’exode rural. Beaucoup de rappeurs et de chanteurs locaux ont du mal à faire leur trou ici. Ils sont donc obligés d’aller à Montréal ou à Toronto pour augmenter leurs chances de réussite. C’est triste à dire, mais c’est la vérité.

 

Tu as lancé ton premier album en 2004. Est-ce que l’industrie musicale a changé depuis ce temps?

En 2004, iTunes était à ses balbutiements et les gens achetaient encore les CD. Aujourd’hui, iTunes a disparu et a été remplacé par Apple Music. On vit désormais dans une époque où la musique est numérique et les supports physiques, tels que les CD, disparaissent peu à peu. Les choses ont énormément changé : les habitudes de consommation des auditeurs ne sont plus les mêmes, et les artistes doivent désormais composer avec cette nouvelle réalité.

À l’époque, j’essayais de mieux comprendre les comportements des consommateurs afin de vendre mes CD. Aujourd’hui, j’essaie de mieux comprendre les comportements des algorithmes afin que mes chansons soient intégrées dans les playlists. Pour ce faire, j’écoute plein de podcasts et je lis des tas d’articles afin d’apprendre à mieux dompter les nouvelles technologies.

On ne fera pas marche arrière, donc il faut que je m’adapte à tous les changements qui surviennent dans l’industrie de la musique. Je n’ai pas le choix. Ma survie en dépend.

 

Quels sont tes projets pour 2020 ?

L’année 2020 a commencé sur les chapeaux de roues. En janvier, j’ai sorti le clip de ma chanson Indomptable Remix.

Puis, en février, j’ai sorti ma chanson Origines, dans laquelle je rappelle aux auditeurs que les Noirs sont toujours victimes de profilage racial à Montréal. Étant donné que février est le Mois de l’histoire des noirs, cette piqûre de rappel s’imposait.

Au cours des prochains mois, je vais continuer à sortir des clips et des chansons. Restez branchés!

 

 

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