À cause des événements des dernières semaines à propos du racisme, on a demandé quelques questions à des artistes de la scène musicale : LeFLOFRANCO, Sarah May Vézeau, Sophie Chen et Ai Rei Dooh-Tousignant. Aujourd’hui, on vous présente une nouvelle entrevue avec Le R Premier, un artiste important de la scène musicale hip hop en Ontario français.
Que penses-tu des événements qui se passent en ce moment aux États-Unis par rapport aux manifestations contre le racisme?
Je pense qu’il est important de regarder ces événements à travers la lentille de l’histoire pour mieux les comprendre afin d’apporter les solutions adéquates.
Ils sont la conséquence de plusieurs siècles d’esclavage suivis de plusieurs décennies de ségrégation. Et ces injustices continuent de se manifester comme nous avons pu le voir encore récemment avec le meurtre de George Floyd pour n’en citer qu’un. C’est un cercle vicieux qu’il faut à tout prix briser.
Il est également important de prendre en considération qu’il y a eu à travers le monde, un système de déshumanisation et de dévalorisation des personnes noires, autochtones et dites de couleur. Nous vivons encore sur les vestiges de ce passé sinistre.
Le fait que la résurgence récente du mouvement Black Lives Matter en réaction aux bavures policières ait pris un caractère mondial prouve très clairement que le racisme anti-noir n’est pas une situation propre aux États-Unis.
Est-ce que le racisme existe au Canada?
Tout à fait! Le Canada n’est pas une exception. Il suffit de remonter à pas si longtemps que ça dans son histoire pour s’en rendre compte, et l’actualité fournit de nombreuses preuves qu’il est encore bel et bien actif. Il y a certainement eu des progrès, mais il y a encore tellement à faire. C’est d’abord une question de volonté et de priorité. Je pense que la question de la dignité humaine doit être au coeur de nos choix et décisions dans toutes les sphères de la société. Nous travaillons si fort à bâtir le futur, mais pour qui le faisons-nous si ce n’est pas pour l’humanité dans son ensemble?
Je reste confiant qu’à force de le combattre, le jour viendra où le racisme n’existera plus nulle part sur terre. C’est tout à fait possible. Il faut y croire.
Comment se manifeste le racisme?
Les exemples sont nombreux et sont de toutes les magnitudes. Ils vont des gestes les plus anodins aux pertes injustes en vies, droits et libertés. Ils peuvent même aller comme nous le savons si bien, jusqu’aux génocides. Si je dois récapituler, je dirais qu’il se manifeste à travers les torts, préjudices et abus qui découlent des préjugés qu’on peut avoir par rapport à un groupe d’êtres humains en se basant strictement sur leurs traits physiques caractéristiques.
Comment faire pour changer les choses?
À mon humble avis, il serait important de réévaluer nos systèmes de valeurs. À titre d’exemple, nous vivons dans un monde où la compétition est très valorisée. Certes, il y a des avantages à la compétition, mais on pourrait également fournir des incitatifs à la coopération.
Il est évident que si nous souhaitons implémenter un développement durable, il est important de travailler ensemble. En outre, il serait bien de ne jamais prendre pour acquis nos bonnes actions et nos réussites en matière d’inclusion. Bien au contraire, il faudrait les récompenser, les valoriser et même les célébrer.
C’est dans cet ordre d’idées que j’ai publié un texte sous la forme d’une lettre ouverte contre le racisme, et dont la sortie a coïncidé avec le Blackout Tuesday. Lorsque le réalisateur Randy Kelly l’a lue, il a souhaité en faire un vidéo-poème dans l’intention d’amplifier le message d’unité qu’elle porte. Nous nous sommes concertés et nous avons vite compris que le projet devait illustrer cette coopération, cette inclusivité dont nous parlons. Randy a fait un travail phénoménal.
J’aimerais vous inviter à découvrir notre vidéo-poème et à le partager s’il vous parle. Je sais qu’il vous parlera.
De ton côté, as-tu été victime de racisme dans ta vie?
J’ai eu à faire face à des situations de racisme à plusieurs reprises, mais je considère que je n’en ai jamais été victime. Comme tous les membres de notre communauté, je partage la douleur de nos semblables qui ont perdu la vie ou la liberté de manière injuste à cause de leur couleur de peau. Dans bien des cas, ça commence avec une suspicion sans fondement factuel, et ensuite ça peut vite prendre des proportions jusqu’à dégénérer. Voici un exemple très récent : je me tenais tranquillement devant le centre communautaire et artistique où nous étions allés tourner notre vidéo-poème contre le racisme. J’étais simplement en train de prendre un “selfie” à des fins promotionnelles à l’extérieur lorsqu’un individu qui me trouvait suspect s’est approché pour m’interpeller en me demandant agressivement pourquoi j’étais là. C’est alors qu’une jeune femme dont il est inutile de préciser la couleur de peau, s’est approchée et m’a salué. L’individu qui ne la connaissait pas plus qu’il ne me connaissait a tout de suite été rassuré et m’a collé la paix. Ce qui est ironique dans cette histoire, c’est qu’aucun d’entre nous trois ne nous étions jamais rencontrés auparavant. La morale de l’histoire, c’est que pour lui, j’étais simplement suspect, sans aucune raison valable. Quand j’y repense j’aurais dû l’inviter à venir figurer dans notre vidéo-poème. Ça lui aurait fait du bien!
Comme musicien, comment trouves-tu la place des artistes noirs francophones au Canada?
Leur contribution à la société canadienne est riche et inestimable. J’espère simplement que l’histoire se souviendra d’eux; et que leurs apports ne seront pas oubliés.
En ce qui me concerne, je suis reconnaissant pour ma carrière. Je continue à la développer activement mais je dois admettre qu’il y a encore bien des défis.
Il est important qu’on continue à travailler main dans la main afin de promouvoir la représentativité et de multiplier les initiatives de médiation qui aideront à créer des ponts entre nos cultures.
Il serait bien qu’on fasse plus d’efforts pour aller les uns à la rencontre des autres.
Au mois de mars, tu as fait un spectacle sur Facebook. Vas-tu en faire d’autres?
Absolument! Ce sera avec plaisir. Je pense qu’avec tous les enjeux auxquels nous sommes confrontés, le rôle des artistes est encore plus essentiel. Les spectacles sur les médias sociaux ne sauraient valablement remplacer la vraie interaction humaine, mais il est important de s’adapter au contexte et surtout de ne pas laisser tomber le public dans ces moments difficiles où il a peut-être le plus besoin de nous.
Prépares-tu d’autres projets musicaux en ce moment?
Oui, je suis impliqué dans un projet collaboratif à l’international sur lequel je ne peux pas donner plus de détails pour l’instant.
D’autre part, je prépare la sortie de mon prochain single. J’ai bien hâte de vous faire voyager à travers cet extrait. J’espère vous en dire plus bientôt!
Nomme-moi les artistes qui t’ont le plus influencé.
Il y en a plusieurs, mais je n’en nommerai que trois avec pour chacun d’entre eux, une chanson à découvrir pour celles et ceux qui ne les connaissent pas et qui sont curieux.
Dans un premier temps, il y a l’artiste sénégalais Ismaël Lô. Son titre “Tajabone” est un classique de la musique africaine.
Ensuite il y a le rappeur français Akhenaton, qui m’a beaucoup influencé. Sa pièce “Mes Soleils et mes Lunes” est un vrai chez d’oeuvre poétique à mon avis.
Et pour finir, il y a le chanteur béninois GG Vickey. “Mes frères de l’autre bout” est une chanson qui me ramène à mon enfance au Bénin et qui évoque en moi une grande nostalgie.
En temps de confinement, que fais-tu de tes journées?
La pandémie du coronavirus vient brouiller les cartes. Il faut constamment s’adapter, mais pour moi, il reste fondamental de ne pas trop changer de cap. Du coup les choses continuent tant bien que mal dans la même direction. Je passe mes journées entre mon studio et mon bureau à peaufiner les projets et à les revisiter. Le plus difficile en ce moment c’est la prise de décision à cause des incertitudes, il faut alors y aller avec beaucoup d’intuition.
Je pense énormément à toutes ces personnes qui ont succombé à la COVID ainsi qu’à leurs familles. Continuons de les supporter à travers nos actions et nos prières.
Note : la vidéo-poème sera mise en ligne le 21 juillet à 8 h.